Le sentiment amoureux

Le sentiment amoureux

Une relation saine est celle dans laquelle les deux partenaires sont capables de solitude même si le désir de fusion peut exister encore. Passer de la fusion à l’intimité, c’est sortir de la dépendance affective qui est une tendance à exister pour et par un partenaire amoureux, entraînant de la jalousie ou de la manipulation. Ainsi reconstruire demandera peut-être à l’un des membres du couple de vivre une sorte d’extraction et d’arrachement, à prendre le risque de la différenciation, d’apprendre la frustration. Il affronte son angoisse d’être abandonné, de n’y pas survivre et franchit une nouvelle étape dans sa vie. Ce changement sera encouragé par une communication ouverte et tolérante sur les différences.

Le sentiment d’amour joue un rôle irremplaçable, dynamisant, catalyseur, pour le rapprochement, le rétablissement de l’intimité, l’établissement d’une complicité irremplaçable entre les personnes. Mais est-il pour autant suffisant? Le sentiment a ses limites et il aura ses pannes, il faut le savoir. Et sur quoi tiendra-t-on alors, pendant ces périodes qui peuvent paraître très longues? Inévitables, et nécessaires, les crises sont le signe d’une mutation dans la vie du couple. Dans la crise, on passe d’un état d’équilibre à un autre, d’un palier à un autre. Une conseillère conjugale disait que l’histoire du couple, c’est une histoire de décalages et d’ajustements permanents. Constamment, les partenaires se décalent, et il leur faut se réajuster. Sinon, on peut savoir d’avance quelle sera l’issue. Un couple sans histoires serait un couple sans histoire. Si donc le sentiment ne suffit pas, à lui seul, pour alimenter le lien, il est très important de trouver d’autres ressources. Ces ressources  paraissent devoir être cherchées dans deux directions. D’une part, du côté de ce qui, dans le lien conjugal, ne relève pas du sentiment, mais s’inscrit dans la durée, d’autre part, du côté d’un sens renouvelé de l’amour[1] .

Le philosophe Alain disait : « aimer, c’est vouloir aimer ». Cette phrase peut aujourd’hui faire fuir.  C’est parce que nous sommes tous romantiques sans le savoir, que nous confondons volonté et volontarisme. La volonté est la mise en œuvre du désir. Vouloir, c’est désirer vraiment. Et pour St Augustin, amour et volonté sont quasiment synonymes : « La volonté n’est rien d’autre que la puissance d’aimer… » et « L’amour n’est rien d’autre que la volonté dans toute sa force ». Dans l’autre famille philosophique également, celle d’Aristote, il y a décision lorsque la volonté rejoint le désir et quand le désir s’accorde à la raison – ainsi, écrit-il dans L’Ethique à Nicomaque : « Aussi, la décision est-elle ou intellect désirant ou désir réfléchi et ce principe complexe, c’est l’homme ». Plus près de nous, le philosophe lyonnais Gabriel Madignier a une très belle définition de l’amour : « Aimer, c’est vouloir l’autre comme sujet ». Se réjouir qu’il existe, et vouloir qu’il existe non comme objet, mais comme sujet de son existence. Aimer, c’est mettre en œuvre les actes, les paroles, les conversions, qui lui permettront d’exister davantage. Pour que ce vouloir ne soit pas volontarisme, il faut qu’il soit suscité de l’intérieur. Il devra être alimenté par une source dynamique qui lui donne l’énergie suffisante pour surmonter les crises, avoir le courage de dire ces choses qui coûtent, demander pardon et accorder son pardon. Vaincre ce qu’on appelle la fatigue qui est parfois une lassitude morale profonde trop souvent confondue avec la routine.

Le lien est aussi mémoire, histoire, mémoire d’une histoire commune. Une histoire au cours de laquelle les moments heureux comme les moments malheureux, les joies comme les peines, tissent des liens invisibles, année après année. Avoir vécu ensemble tant de choses, surmonté tant de difficultés, contribue à cette inscription des deux histoires l’une dans l’autre. Et on a beau dire, se séparer ce serait se séparer d’une partie de soi. Reprendre une vie commune c’est entrer dans une solidarité telle que si on la rompt on se sépare d’une partie de soi. Parfois ce sera quand même le choix de l’un des conjoints pour se retrouver lui-même.

Les personnes ayant franchi le pas de l’infidélité parlent souvent d’une flamme qui n’était plus là avec leur conjoint. Elles disent qu’au niveau sentimental et affectif il ne se passait plus rien et que cela introduisait un doute quant à l’existence encore de l’amour. C’est ignorer que la vie conjugale passe effectivement par plusieurs phases durant lesquelles une baisse ou une impression de disparition du sentiment amoureux peut survenir. Cela ne devrait pas affecter la relation dans sa durée car il s’agit de passages qui signifient au couple qu’un changement est à vivre. Seulement la peur du conflit, la croyance, entretenue par la société du plaisir actuelle, que toute relation doit être stimulante, conduit les conjoints à ne pas faire d’efforts face à cette situation. Ils n’en parlent même pas ou trop tard.

Raviver la flamme c’est retrouver ce qui l’avait allumé : ce qui a plu chez l’autre, donné envie d’aller vers lui (elle)… Le couple pourra revivre une lune de miel en se remémorant les premiers temps de sa vie conjugale et surtout la rencontre et toutes les sensations, émotions qui s’y rapportent et ce qui peut faire du bien à l’un et à l’autre dans ce vécu.

L’amour est trop souvent l’occasion de souffrances, de déceptions, de relations destructrices dévalorisantes parce que l’accent est donné dans notre culture sur la nécessité de se connaître, de s’occuper de soi, de se comprendre, d’apprendre à se construire, à s’enrichir. Or, les relations fusionnelles sont un piège. L’ouverture du cœur est comme l’éclosion d’un bourgeon et s’il n’est pas entretenu par des sources diverses il ne pourra jamais avoir l’occasion de s’épanouir. Il est donc important d’apprendre à continuer à s’aimer en s’ouvrant. Ainsi l’infidélité plurielle quand elle prend sa source dans la fidélité à soi-même est toujours découverte et créativité. Il s’agit d’une recherche de sécurité affective à l’extérieur. Seulement personne ne peut donner de réponse au besoin de sécurité affective sauf quand nous pouvons le trouver en nous au fur et à mesure que grandit l’amour de soi. C’est quand mon masculin ou féminin intérieur aime le féminin ou masculin de l’autre que je découvre l’altérité. Polarité et entraide s’entretiennent dans un grand désir de vivre l’entre-deux relationnel hors de la fusion. C’est alors qu’un calme, une liberté et une joie intérieures peuvent émerger et se donnent à voir.


[1] Xavier Lacroix,Du sentiment amoureux au lien d’alliance, conférence donnée lors d’un rassemblement « CANA » pour couples à Tigery (91) en 1996, et transcrite par François de Muizon.

   

 

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